Les points forts de notre cerveau !

Le neuroscientifique Jean-Philippe Lachaux, auteur des «Petites Bulles de l’attention», nous livre ses astuces pour muscler son cerveau.

Aider nos enfants à mieux se concentrer à l’école (et au-dehors) et leurs parents à mieux résister à l’éparpillement de leur propre attention, c’est la mission que s’est fixée Jean-Philippe Lachaux, neuroscientifique, spécialiste de l’attention, avec ce livre vivant et coloré qui est bien plus qu’une simple bande dessinée (les dessins aussi sont de l’auteur !).

Vous pouvez croiser Jean-Philippe Lachaux dans son laboratoire de recherches Inserm à Lyon. Mais aussi dans les écoles, où il a mis en place Atole. Rien à voir avec les opticiens : ATtentif à l’écOLE est un programme d’éducation à l’attention. Enfin, vous pouvez le voir sur scène. Il y était en février, aux côtés notamment de Mathieu Vidard pour une grande conférence sur la concentration. Quant à son livre «les Petites Bulles de l’attention » (Odile Jacob), il a conquis près de 100 000 lecteurs. Et pour cause : à 49 ans, ce neuroscientifique réussit l’exploit – par sa voix posée et ses images rigolotes – de rendre compréhensibles les mécanismes de l’attention dont il est le spécialiste.Et même s’il répond à nos questions tout en marchant dans la rue, le chercheur est un fervent militant du traitement des tâches une par une. Une façon de focaliser son attention et de ne pas se prendre la tête avec son cerveau.

Les cerveaux naissent-ils égaux ?

JEAN-PHILIPPE LACHAUX. Comme tous les organes du corps humain, celui-ci diffère d’une personne à une autre. Même les jumeaux n’ont pas un cerveau identique. Les inégalités se creusent avec l’âge, le milieu dans lequel évolue l’individu, l’éducation qu’il reçoit. Il est, en revanche, très plastique. Toutes les expériences, tous les apprentissages lui laissent une empreinte. J’aime beaucoup la formule anglaise use it or lose it. Elle montre que, dès qu’on lâche, dès qu’on ne l’exerce plus, ses capacités s’amenuisent.

Vous nous annoncez là une vie de travail…

Et de plaisir aussi ! Le cerveau a cette épatante capacité à s’adapter à l’activité que l’on pratique. Il est loin d’être bête. Rappelez-vous ce moment où l’on apprend à taper au clavier d’ordinateur. Au début, on le fait avec deux doigts, on tâtonne. Et puis, assez rapidement, on utilise les dix, on ne cherche plus les touches du regard. Il y a une satisfaction personnelle que l’on retrouve dans chaque stimulation nouvelle.

Quel est le mécanisme à l’œuvre ?

Les neurones, qui sont les cellules nerveuses, s’envoient de l’information. À force de le faire lors d’une tâche répétée, ils vont renforcer les connexions qui les relient pour former un réseau plus efficace pour cette activité. C’est un mouvement très élégant, comme si les neurones étaient sculptés pour correspondre à une activité. Mais voilà, ce phénomène d’apprentissage ne se produit qu’à force de répétition… Il ne faut pas l’oublier, comme pour apprendre le piano. Et le travail n’est pas terminé : une fois ces réseaux en place, il reste à les utiliser à leur meilleur potentiel, grâce à une bonne concentration.

Se concentrer, n’est-ce pas tout le problème ?

Tout à fait, d’où l’inquiétude actuelle concernant l’évolution de notre capacité apparente de concentration. Mettons-nous à la place de notre cerveau : ce n’est pas tous les jours facile pour lui. Il est le théâtre de conflits permanents entre nos réactions automatiques et celles plus volontaires. Si une voiture surgit, elle attire mon attention. Même si je suis concentré sur autre chose, je peux l’éviter ! Il y a là une réorientation automatique de l’attention vers ce qui est bruyant, brillant, coloré…

Mais cet automatisme est aussi la raison pour laquelle je me laisse distraire et déstabiliser par n’importe quel bruit extérieur : la ­télé, un objet qui tombe, quelqu’un qui parle. Cela vaut pour tout un tas de choses du quotidien : un verre invite à boire, une poignée de porte à être ouverte, un portable à être attrapé. Pour rester concentré, il faut enclencher un « frein à main » pour inhiber ces automatismes. C’est l’attention dite « volontaire ».

Quelle est votre astuce ?

Faire comme si j’avançais sur une poutre. Il y a un point de départ, un point d’arrivée. Je dois suivre la trajectoire, sans tomber. Pour cela, pas le choix : regarder droit devant soi. Il faut savoir que des forces analogues agissent sur le corps et sur l’attention : nos yeux et notre buste réagissent de la même manière au moindre bruit distrayant. L’idée est donc, comme un ou une gymnaste sur sa poutre, d’utiliser son corps pour ramener doucement l’attention sur la tâche qu’on s’était donné à réaliser : la lecture de son livre, l’écriture de son mail, l’écoute attentive de son interlocuteur. C’est l’équilibre attentionnel. Plus on remarque tôt que l’attention et le corps sont en train de dévier, plus on les ramène sans tarder, mais tranquillement.

On peut donc apprendre l’attention ?

Dès le plus jeune âge. C’est pour cela que nous avons mis en place le programme Atole (NDLR : pour ATtentif à l’écOLE). Il est facile de reprocher à quelqu’un d’être distrait… mais avons-nous jamais appris à garder une attention stable ? L’objectif est d’apprendre aux jeunes à mieux réagir aux signaux provoqués par le fameux « circuit de la récompense ». Il est là dans notre cerveau pour nous encourager sans cesse à rechercher un sentiment de gratification immédiate.

Ce circuit est parfois très utile, mais il peut constituer une vraie faille qui va attirer sans fin notre attention sur des séries, des vidéos, notre portable… avec le risque de ne plus pouvoir prendre le temps de lire un livre car la récompense ne sera pas aussi immédiate. Le programme Atole, qui a déjà bénéficié à plus de 20 000 élèves, a pour but de valoriser le plaisir de l’attention.

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Pas facile à l’heure de l’hyperconnexion !

Qui est aussi une hyperdéconnexion. Car me connecter à une chose, c’est me déconnecter d’une autre. Récemment, j’ai vu quatre personnes dans un café. Ils avaient tous en main leur téléphone. Peut-on dire qu’ils sont connectés ou déconnectés ? Le problème est que l’on entre dans une gloutonnerie de l’attention. On goinfre notre cerveau avec du contenu numérique exactement de la même manière que l’on se bourrerait de sucre. L’écran est devenu notre magasin de bonbons, gratuit et avec des réserves infinies.

Que préconisez-vous ? Car la réalité, notamment au boulot, est de faire de plus en plus de choses en même temps…

Bien sûr, il ne s’agit pas d’ignorer la réalité — plus personne ne va travailler comme un moine. Toutes nos tâches doivent être effectuées, mais autant que possible… une par une ! L’astuce est de se créer des petites bulles de temps, incassables, au sein desquelles toutes les tâches que nous avons à faire sont oubliées, sauf une. On prend l’habitude de s’y réfugier plusieurs fois par jour, pendant, deux, cinq, dix minutes. Pendant ce temps, on ignore le reste.

Sans cela, le risque est non seulement de n’être pas totalement efficace, mais de devenir également frustré, voire en souffrance. Il faut adopter l’attitude du pêcheur de perles. Il réfléchit à la surface, mais une fois qu’il a plongé, il se concentre sur la chose précieuse qu’il a à faire. Le monde devient simple.

Cela peut-il être transposé sur le théâtre des émotions ? Pour gérer une colère, par exemple ?

Oui. Les émotions sont des stimulus qui profitent des failles de sécurité de notre cerveau. Quand elles deviennent envahissantes, on peut repenser à la poutre pour ne pas se laisser entraîner par elles. La méditation, elle aussi, peut aider.

Il est quand même dommage d’avoir presque cent milliards de neurones et de ne pas pouvoir faire plusieurs choses à la fois…

Mais nous n’avons que deux mains, deux yeux, une bouche… Le corps est fait pour ne traiter qu’une seule chose importante à la fois. Et cela n’a pas évolué : nous avons le même cerveau que Cro-Magnon. Penser que, demain, nous serons multitâches est un mythe. Pour que cela puisse être le cas, il faudrait changer notre ADN.

Vous, spécialiste du cerveau, arrivez-vous à maintenir fixe votre attention ?

Pas tout le temps, mais quand j’en ressens le besoin, oui. Je fonctionne beaucoup par images. Un matin, ma fille de 8 ans voulait me raconter un épisode de « Harry Potter ». Je n’écoutais pas. Pour me reconnecter à elle, j’ai utilisé une technique Atole consistant à me figurer sous forme de petites images mentales tout ce qu’elle me disait. Très vite, j’étais dans l’écoute et c’est devenu agréable pour elle, comme pour moi.

Autre technique, utile quand il faut lire un texte sans en avoir envie : plutôt que de le parcourir sans s’y arrêter vraiment, je pose tout de suite mon regard sur la première ligne. Le cerveau va lire automatiquement, « tout seul », sans urgence. C’est beaucoup moins fatigant.

S’intéresser autant au pouvoir du cerveau n’est-il pas has been à l’heure des machines et de l’intelligence artificielle ?

L’un ne va pas sans l’autre. Nous aurons toujours besoin de puiser dans notre mémoire, de réfléchir et de maîtriser notre attention. Sans cela, la vie ne serait tout simplement pas la vie. Rien n’aura jamais autant de valeur qu’une réalisation faite par un être humain, qui y a consacré toute son attention.

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