La fertilisation du sol sur lequel nous roulons est le produit d’un savant cocktail: fumier de mouton, cornes moulues, jus de betterave, pin, pulpe de fruits, tourteaux de tournesols et écailles d’huîtres. La grande différence entre le chimique et l’organique est que cette dernière approche travaille autant sur la plante que sur le sol. «Nous avons constaté moins de maladies de gazon et la gestion des coupes est moins contraignante: s’il pleut deux ou trois jours de suite, on ne s’affole pas, il ne pousse pas d’un coup», détaille Raymond Garrouste.
Une rencontre décisive
L’engrais chimique, en revanche, dope la plante et le sol s’appauvrit. «Je connais des greens qui doivent être fertilisés toutes les trois semaines, sinon ils jaunissent, poursuit-il. Sans compter que les engrais chimiques empoisonnent tout l’écosystème, plus encore dans une région sablonneuse comme celle-ci où tout finit dans le lac.»
Les compétences de ce touche-à-tout (successivement paysagiste, piscinier, conducteur d’engins, militaire…), natif d’Aurillac, au cœur de la France, découlent d’une enfance passée avec un grand-père paysan et d’une rencontre déterminante. En 1993, il rencontre Christian Levrel, représentant de la société Frayssinet qui s’apprête à devenir leader européen des engrais organiques. «Il ne connaissait rien au golf et j’ignorais tout des engrais organiques; nous avons échangé nos passions et je suis devenu leur premier client golf.» D’autres ont suivi dans son sillage.
Il suffit d’une semence de mauvaise herbe importée par un soulier pour que l’on soit confronté à l’invasion d’une plante tropicale
L’approche environnementale de Raymond Garrouste ne se limite pas au sol. Le golf d’Ascona compte 250 maisonnettes pour seize espèces d’oiseaux, soigneusement répertoriées par un ornithologue. Celui-ci s’est d’ailleurs émerveillé de voir arriver des oiseaux que l’on ne voyait plus depuis longtemps au Tessin, comme la huppe fasciée.
Des chauves-souris contre les moustiques
Se nourrissant d’insectes, les volatiles permettent à l’intendant de ne plus utiliser d’insecticides chimiques depuis quatre ans. Les insectes, eux, sont attirés par 1300 variétés de plantes sauvages et soixante-dix arbres fruitiers plantés pour nourrir les oiseaux en hiver. «Quant aux nids de chauves-souris, ils ont résolu le problème des moustiques les soirs d’été sur la terrasse du club house», rapporte l’intendant.
Le golf d’Ascona est par ailleurs le premier en Suisse à recycler l’eau utilisée pour nettoyer les machines à l’aide de bactéries. Pour arroser le parcours, on utilise l’eau du lac. «Son PH est modifié de telle sorte que les besoins ont chuté de 50%.» Le mobilier sur le parcours est fait avec le granit local et pratiquement tous les matériaux sont recyclés à l’interne.
Tout cela est certes bien beau. Mais un revirement de paradigme pareil ne se fait pas du jour au lendemain. «Cela exige un long apprentissage sur plusieurs années», prévient Raymond Garrouste, qui observe par ailleurs que les changements climatiques et la mobilité croissante des joueurs compliquent la donne. «Il suffit, par exemple, d’une semence de mauvaise herbe importée par un soulier pour que l’on soit confronté à l’invasion d’une plante tropicale qui n’aurait pas survécu sous nos latitudes il y a quelques années.»
Des tâches nouvelles apparaissent
Une transition vers l’éco-compatible supprime certaines tâches mais en rajoute d’autres. «Comme nettoyer les nids ou la terre retournée la veille par un blaireau, ou encore rester le soir pour appliquer l’engrais, plutôt que de le faire en après-midi, pour éviter que l’odeur du fertilisant naturel ne gêne les golfeurs.» Mais le jeu en vaut largement la chandelle, même financièrement. «Parmi mes amis intendants qui ont converti leur golf à l’organique, personne ne retournerait en arrière», assure Raymond Garrouste.
Et les joueurs? «Il y en a toujours un pour râler à cause des déchets de terre des vers qui collent aux chaussures, mais avec une bonne communication, ils sont sans cesse plus nombreux à s’enorgueillir d’un golf plus respectueux de l’environnement.»
Sur le plan de l’écoresponsabilité, le golf ne se classe ni devant ni derrière les autres secteurs touristiques; néanmoins, il faudra encore patienter un certain temps avant qu’il ne soit perçu comme «une activité récréative responsable». Les terrains de golf ont toujours figuré parmi les sites les moins écologiques étant donné leurs effets négatifs sur la topographie, l’hydrologie et les habitats fauniques locaux, en plus du fait que leur entretien nécessite une utilisation massive d’eau et de produits chimiques 1.
Au Québec, le golf est une importante activité récréative qui compte 362 clubs. Ailleurs dans le monde, il existe environ 25 000 terrains de golf pour quelque 50 millions de joueurs. À l’échelle internationale, diverses organisations et programmes servent à réduire les effets néfastes du golf sur l’environnement, le plus connu de ces programmes étant le Audubon Cooperative Sanctuary Program for Golf Courses. En 2009, 783 terrains de golf du monde entier étaient certifiés par ce programme, dont 82 au Canada et 11 au Québec 2.
Les mesures prises par les terrains de golf pour réduire leurs effets néfastes sur l’environnement sont vastes :
- diminution de la quantité d’eau utilisée;
- amélioration des systèmes d’irrigation et d’arrosage;
- contrôle de la qualité de l’eau;
- élimination totale ou partielle des pesticides;
- augmentation de l’emploi d’engrais organiques naturels;
- amélioration de la retenue des déversements dans les lieux de préparation et de chargement des pesticides;
- réduction des aires de pelouse en plaque pour préserver l’habitat faunique;
- introduction de plantes indigènes dans l’aménagement paysager pour protéger l’habitat faunique;
- élimination des plantes exotiques envahissantes;
- tenue d’un inventaire faunique;
- plantation de végétation aux abords des étangs du terrain de golf;
- installation d’une zone circonscrite de nettoyage d’équipement.
Selon les estimations d’Audubon International 3, la plupart des gérants de terrains où ces mesures ont été prises ont enregistré des retombées économiques positives ou une économie de coût.
LA SITUATION AU QUÉBEC
Au Québec, présentement, aucune étude ne répertorie de façon systématique toutes les actions écologiques accomplies en vue d’améliorer le rendement du golf en matière de gestion. Cependant, de nombreux terrains de golf s’activent à réduire leurs effets négatifs sur l’environnement, et plusieurs sont en voie d’obtenir leur certification d’Audubon International. Pour l’instant, l’action la plus répandue demeure la réduction de l’utilisation de pesticides, en raison des mesures législatives prises en 2003 par le gouvernement du Québec 4. Selon une évaluation de base pour la période de 2003 à 2005, le secteur du golf du Québec a utilisé 39 382 kg d’ingrédients actifs par année (selon les chiffres de vente), dont 75,9% ou 29 885 kg sous forme de fongicides 5. L’emploi de pesticides par le secteur du golf représente environ 1,1% de l’emploi total de pesticides au Québec. La réduction continue de l’application de pesticides est importante: elle permet de diminuer l’utilisation des produits chimiques dans leur ensemble et de préserver la santé des écosystèmes aquatiques, étant donné que presque tous les pesticides utilisés par les terrains de golf au Québec sont épandus sur des sols perméables.
Depuis 2003, le Code de gestion des pesticides du Québec exige des terrains de golf du Québec de déposer un plan triennal de réduction de l’utilisation des pesticides auprès du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs4. Ce plan doit être préparé par un agronome membre de l’Ordre des agronomes du Québec. Pour la période de 2006 à 2009, son objectif était d’effectuer une diminution moyenne d’emploi des fongicides de 12,9%, des herbicides de 9,4%, des insecticides de 8,2%, des rodenticides de 7,4% et des régulateurs de croissance de 2,8%. Les résultats sont en cours d’analyse et les objectifs pour les trois prochaines années seront fixés en 2010.
Les terrains de golf du Québec ont pris de nombreuses autres mesures, mais les retombées globales de ces améliorations ne sont pas connues. Dans certaines régions comme les Laurentides, l’utilisation de l’eau est étudiée de près par des organismes du secteur public dans le but de mieux comprendre les activités du secteur du golf. Quelques terrains de golf ont installé de l’équipement industriel pour filtrer, traiter et réutiliser les eaux usées. Rares sont ceux à l’avoir fait cependant, puisque cet équipement représente un investissement pouvant se chiffrer à 200 000 CAD. Ailleurs, les terrains de golf ont opté pour des voiturettes électriques, utilisent des balles et des tés recyclables et biodégradables, ont adopté un programme de recyclage et offrent des aliments de provenance locale dans leur restaurant. Dans ce contexte, en 2009, le club de golf de Rawdon a reçu le Phénix de l’environnement pour les diverses initiatives écologiques qu’il a prises en vue d’améliorer son rendement 6.
Bien qu’il n’existe pas encore de terrains de golf entièrement écologiques, le secteur semble continuer à s’efforcer d’améliorer sa gestion. Au Québec, on vise à prendre différentes mesures volontaires pour 2010. Par exemple, l’Association des terrains de golf du Québec conçoit présentement une politique de développement durable ainsi qu’un programme vert. Ces mesures porteront sur l’ensemble des besoins en matière de gestion environnementale liés à une gamme de sujets, tels que la gestion des déchets et de l’eau (compostage et recyclage), l’utilisation de substances dangereuses, la végétation près des cours d’eau, etc. Au Québec, d’autres organisations ont pour but d’aider les terrains de golf à améliorer leur gestion environnementale, comme la Coalition pour un Golf Responsable.
LES GOLFEURS SONT-ILS VERTS?
Le nombre d’études sur les comportements des golfeurs quant à l’environnement est limité, et aucune n’a été effectuée au Québec. Toutefois, en 2008, Golf Digest a publié un sondage qui comparait la perception de 650 mordus du golf à celle de la population américaine générale en ce qui a trait au golf et à son incidence sur l’environnement 7. Selon cette étude, les golfeurs étaient surtout perçus comme étant des hommes, riches et plus vieux que les membres de la population générale sondés; en ce qui concerne les comportements par rapport à l’environnement, certaines similitudes et différences entre les deux groupes ont été notées. Par contre, tous étaient conscients de l’environnement, prenaient part à des activités comme le recyclage et s’accordaient pour dire qu’une réglementation gouvernementale est nécessaire pour s’attaquer aux questions environnementales.
Dans l’ensemble, les golfeurs semblaient croire que le golf est un sport compatible avec la protection de l’environnement, mais ils étaient moins enclins que la population générale à prendre des mesures comme le covoiturage. Le graphique 1 permet de constater que la perception des golfeurs quant aux effets de l’utilisation de l’eau et de pesticides est moins négative que celle de la population générale.
Selon l’étude du Golf Digest7, les golfeurs pensent qu’il est nécessaire d’améliorer la gestion environnementale des terrains de golf; mais cette gestion n’incitera pas les gens à adopter ce sport pour autant.
Certains terrains de golf tentent présentement de sensibiliser les joueurs à l’environnement. D’autres essaient de les inciter à faire des travaux environnementaux et de remise en état des terrains à titre bénévole, et sollicitent leur soutien financier pour des initiatives environnementales.
Il est clair que le golf peut devenir plus écologiquement responsable, et les nombreuses initiatives actuelles visant à améliorer le rendement du secteur ne laissent pas place à l’inaction.
Sources:
(1) Wheeler, K. et J. Nauright (2006). “A Global Perspective on the Environmental Impact of Golf Sport in Society”, Sport in Society, 9(3). p. 427-443.
(2) Audubon Cooperative Sanctuary Program for Golf Courses.
(3) Audubon International (2007). Golf’s Green Bottom Line: Uncovering the Hidden Business Value of Environmental Stewardship on Golf Courses, Audubon International, 64 p.
(4) Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (2009), Code de gestion des pesticides, [http://www.mddep.gouv.qc.ca/pesticides/permis/code-gestion/index.htm] (page consultée le 4 novembre 2009).
(5) Laverdière, C., Dion, S., et F. Gauthier (2007). Bilan des plans de réduction des pesticides sur les terrains de golf, Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, 54 p.
(6) Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (2009). Les Phénix de l’environnement, édition 2009,
[http://www.mddep.gouv.qc.ca/Phenix/2009/5-realisation-entrep.htm] (page consultée le 28 octobre 2009).
(7) Golf Digest (2008). Golf and the Environment. Golfer Perceptions and Attitudes Concerning the Game and its Relationship with the Environment, Golf Digest Publication, Research Resource Centre, 25 p.