Les conseillers techniques sportifs (CTS)
Depuis les années soixante, le mouvement sportif bénéficie d’un appui technique spécifique à travers l’intervention de fonctionnaires ou d’agents publics rémunérés par l’Etat, au nombre de 1600 à ce jour, répartis dans 79 fédérations (dont les 38 fédérations olympiques et paralympiques 27 fédérations non olympiques reconnues de haut niveau et 13 fédérations multisports).
Ces agents, exerçant des missions de conseillers techniques sportifs (CTS), sont chargés de responsabilités diversifiées, liées, en particulier, au sport pour tous (progression de la pratique licenciée), au sport de haut niveau (détection des talents et perfectionnement de l’élite, sélection des équipes nationales), à la formation des cadres.
Ils contribuent directement à la mise en œuvre de la politique sportive de l’Etat et sont garants de la cohérence entre les projets sportifs des fédérations et les orientations prioritaires du ministère de la santé et des sports. Ils s’assurent de la bonne utilisation des crédits publics.
Ils assurent auprès des fédérations sportives les missions de directeur technique national (DTN), de DTN adjoint (DTNA), d’entraîneur national (EN), de conseiller technique national (CTN) ou régional (CTR).
Arrêtez tout. C’est, en substance, le message de l’inspection générale de la jeunesse et des sports (IGJS) à son ministère en ce qui concerne le statut des conseillers techniques sportifs. Arrêtez tout ou, plutôt, cessez de vouloir bousculer cette « cheville ouvrière du sport français », sous peine de courir à la catastrophe lors des Jeux olympiques et paralympiques 2024 à Paris.
Le rapport de l’IGJS que s’est procuré Le Monde, remis en novembre 2018 à la ministre Roxana Maracineanu et qui n’a pas été rendu public, est un caillou dans la chaussure du gouvernement : ce dernier souhaite en effet transférer aux fédérations la gestion de ces agents du sport français afin de remplir ses objectifs de réductions de postes dans la fonction publique.
La « mission d’évaluation relative aux conseillers techniques sportifs [CTS] » avait été lancée en janvier. Elle est d’une actualité brûlante depuis la demande faite par Matignon de supprimer 1 600 postes d’ici à 2022 en ciblant les CTS.
Dévoilée par la presse en septembre, cette requête avait suscité une levée de boucliers dans le sport français, et Roxana Maracineanu, fraîchement nommée, avait corrigé le tir en affirmant que tout ou partie des 1 574 CTS changeraient de statut pour passer sous celui des fédérations.
Depuis, le flou le plus total règne sur l’avenir de ces agents du ministère détachés dans les fédérations sportives. Lors de ses vœux pour 2019, la ministre des sports a affirmé que la question n’était pas tranchée. Une incertitude compréhensible, compte tenu de ce rapport qui préconise un relatif statu quo au moins jusqu’en 2024.
« L’efficience du dispositif ne peut être contestée »
La mission « constate (…) que l’efficience du dispositif ne peut être contestée, au regard du caractère central de l’intervention des CTS »,peut-on lire dans le rapport.
Les inspecteurs soulignent « l’investissement professionnel fort et atypique de ces agents », mais estiment que leurs activités sont trop hétérogènes et que leurs effectifs « devraient être rationalisés, leur répartition objectivée, leur pilotage et la gestion de leurs parcours professionnels améliorés ».
La mission ne fait pas de lien statistique direct entre le nombre de CTS par fédération et leur nombre de médailles ni avec leur nombre de licenciés.
Elle estime cependant que leur impact est« fondamental » sur le sport de haut niveau en France.
« Ils constituent la cheville ouvrière du sport de haut niveau et du développement des pratiques sportives, en particulier pour le développement des nouvelles disciplines et pour l’accès à la pratique sportive des publics les plus éloignés », écrivent les inspecteurs.
Et leurs prédictions sont alarmistes dans l’éventualité où le gouvernement s’aventurerait à modifier substantiellement le statut et les missions des CTS.
« Dans le contexte de la préparation des équipes de France aux JOP [Jeux olympiques et paralympiques] de Tokyo 2020 et de Paris 2024, la mission recommande en conséquence d’écarter tout scénario de rupture, compte tenu des responsabilités essentielles que les CTS jouent dans le pilotage et la mise en œuvre des projets de performance fédérale, pour l’ensemble des fonctions de référence. (…) L’application d’un scénario de rupture aurait, sans aucun doute, des conséquences majeures pour celles-ci. »
Et le rapport de poursuivre :
« Elles pourraient notamment se traduire par une désorganisation totale du dispositif actuel de performance sportive français, avec la fermeture de structures, la disparition des ressources d’encadrement et d’entraînement des équipes de France et des sportifs de haut niveau et la dégradation complète des dispositifs de détection et d’optimisation des performances. La modification du mode de gestion des CTS, quant à elle (…) constituerait toutefois une prise de risque disproportionnée par rapport aux enjeux sportifs des deux rendez-vous olympiques à venir. »
Le transfert aux fédérations impossible ou trop coûteux
Concernant le transfert des CTS aux fédérations, et donc leur changement de statut, les inspecteurs jugent qu’il n’est pas a priori envisageable d’un point de vue constitutionnel. Le simple détachement de ces fonctionnaires sur des contrats de droit privé, pourvu qu’ils en soient d’accord, est « la seule solution envisageable » mais « présente des difficultés juridiques, (…) serait coûteuse pour l’Etat et présenterait de réelles contraintes de gestion ».
En revanche, des modifications seraient envisageables au-delà de 2024 compte tenu des départs à la retraite progressifs des CTS (27 % dans les dix prochaines années, auxquels il faut ajouter les sorties volontaires du dispositif) et de la création de l’Agence nationale du sport, qui va modifier le fonctionnement du sport français.
« Le rapport ne nous surprend pas et nous conforte dans notre analyse du rôle des CTS, dit-on au ministère des sports. La décision sur leur statut ne repose pas uniquement sur ce rapport, c’est un élément parmi d’autres. »
Le ministère ne se donne pas de date butoir pour définir la future organisation des CTS, précisant que « les discussions se poursuivent entre les différents ministères concernés ».
De son côté, l’Association des directeurs techniques nationaux s’est réjouie du contenu du rapport dans un communiqué publié jeudi mais s’inquiète de « la suppression brutale des recrutements, avec la disparition du concours de professeur de sport 2019 », ainsi que de « la demande de suppression immédiate de 41 postes de CTS ».
Roxana Maracineanu : les conseillers techniques ne seront « plus forcément fonctionnaires »
« Il n’est pas question de licencier les conseillers techniques sportifs [CTS]. »
Dans un entretien publié dans L’Equipe mardi 11 septembre, la nouvelle ministre des sports, Roxana Maracineanu, tente d’éteindre la polémique après la publication de la lettre de cadrage préparatoire au budget 2019 adressée à son ministère, qui demande à ce dernier d’« appliquer un schéma d’emplois de moins 1 600 ETP [équivalents temps plein] au cours de la période 2018-2022 ».
Elle confirme ainsi ses propos tenus la veille, à la sortie de Matignon, après un long entretien avec le premier ministre, Edouard Philippe.
Dans L’Equipe, Roxana Maracineanu explique que « ce qui change pour [les CTS], c’est leur statut : ils ne seront plus forcément fonctionnaires ». « Ils ne vont pas perdre leur emploi car ce sont eux qui détiennent des compétences essentielles pour nous », ajoute-t-elle.
« Responsabiliser les associations et les fédérations »
Selon la ministre, la discussion concernant les « missions »assignées aux CTS se déroulera « fédération par fédération » pour « reconnaître une pratique diversifiée selon le public concerné ».
« L’idée est de responsabiliser les associations et les fédérations en allant chercher des moyens et d’être des manageurs. »
Concernant le rapport sur la gouvernance qui devait être présenté le 6 septembre, Roxana Maracineanu annonce qu’il sera livré « plus tard ». « L’idée est de boucler d’ici au 1er janvier 2019 un plan qui tienne la route sur la gouvernance et le fonctionnement de l’agence du sport, explique-t-elle.
Je vais engager une concertation et, dès la fin octobre, on va présenter au premier ministre un échéancier. Cette affaire des CTS est liée à la réforme de la gouvernance.
L’un ne pourra pas avancer sans l’autre. »
Quant à la future agence du sport, il s’agit, selon elle, d’un « bel outil », qui aura deux missions : « le sport de haut niveau et le développement de la pratique ».
« Il faut que l’on redéfinisse ce que l’on entend par le développement de la pratique. Est-ce que c’est juste les enfants quand ils arrivent dans un club et comment ils arrivent au haut niveau ?
Ou est-ce une autre pratique, également source de santé et d’intégration ?
On est en réflexion et on va y associer les acteurs de terrain et les financiers », annonce la ministre.
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