En sport, la performance commencerait bien avant ce que l’on pense… À la recherche du sportif parfait.
C’est le titre alléchant du documentaire de Benoît Laborde (2016). Aujourd’hui, sur les terrains de sport, les athlètes d’élite tutoient les limites physiques du corps humain. Leurs seules réelles marges de progression sont mentales.
Un nombre croissant de scientifiques européens et nord-américains proposent aux grands clubs sportifs et aux équipes olympiques des solutions pour entraîner ces capacités mentales trop longtemps négligées. Ils offrent aux coachs un nouveau regard sur la performance et élaborent avec eux de véritables entrainement à la carte où une grande importance est donnée à la visualisation des gestes, à l’observation et à la maîtrise du stress et des émotions.
« Un film où la performance sportive n’est pas simplement célébrée comme un exploit physique mais comme la manifestation d’une forme d’intelligence propre aux athlètes d’exception », peut-on lire dans la note d’intention.
« Perso, je préfère parler d’athlète complet que de sportif parfait car la perfection est un leurre, elle n’existe pas, précise d’emblée Karine Duclos, maître de conférences en psychologie à la faculté des sciences du sport à l’Université de Lorraine. Et pour le comprendre, il me semble important de l’appréhender dans sa globalité, c’est-à-dire dans ses versants perceptif, sensoriel, émotionnel, physique et mental. »
Plus vite, plus haut, plus fort… Le 15 février 2014, à Donetsk, en franchissant une barre à 6 m16, Renaud Lavillenie a battu le «vieux» record du monde de saut à la perche en salle de Sergueï Bubka, qui datait de 21 ans.
Depuis les années 1980, les dieux de l’Olympe ont de plus en plus de mal à battre les records. A-t-on touché du doigt les limites physiques du corps humain? Peut-être. Et si les capacités mentales, trop longtemps négligées, constituaient, avec la technologie, les réelles marges de progression ?
Car, en effet, tout partirait du cerveau. Pour le perchiste français Jean Galfione, champion olympique à Atlanta en 1996, «50 % du saut se passe en bout de piste avant de s’élancer. Via un travail de visualisation, d’imagerie mentale et de maîtrise du stress et des émotions qui activerait les neurones utiles à la réalisation du geste.
Quand le geste devient réflexe
Dans les situations sportives, il s’avère que le cerveau des champions travaillerait moins – mais mieux – que celui du commun des mortels. Après des milliers d’heures d’entraînement passées à répéter les mêmes gestes, l’athlète aurait musclé son corps mais aussi… son esprit.
À l’image de Logan Da Costa, karatéka du cru (champion du monde de kumite par équipe en 2012) présent dans l’assistance, le sportif se serait fabriqué petit à petit un cerveau sur-mesure, parfaitement optimisé pour le geste parfait. L’action complexe (ex : porter un coup précis) devient alors un réflexe, c’est-à-dire un automatisme acquis.
Comment ?
Grâce à des circuits neuronaux simplifiés et des connexions réduites. Qui, le moment venu, lui permettent de s’orienter vers le chemin le plus pertinent, à savoir le plus rapide ou le plus intéressant. Cette capacité du cerveau à se réorganiser, c’est ce que les scientifiques appellent la neuroplasticité ou la plasticité cérébrale.
Les neurones miroirs, ce fol espoir
Aujourd’hui, l’apport des neurosciences, notamment avec la découverte au début des années 1990 par Giacomo Rizzolatti des neurones miroirs la visualisation d’une action produit le même effet ou presque sur le cerveau que sa réalisation, ex : lorsqu’un singe saisit ou observe quelqu’un saisir une cacahuète, le même neurone chez lui s’active et ouvre de nouveaux horizons en matière d’entraînement et de rééducation.
– Entraînement car la stimulation de ces neurones miroirs, via par exemple le NeuroTracker*, permet de renforcer les facultés d’adaptation (attention, vigilance) indispensables sur les terrains de sport (exemple : le skieur canadien Manuel Osborne-Paradis a utilisé ces techniques d’entraînement cérébrales pour contrôler ses divagations, ses sautes de concentration entre 1’30’ et 1’45’ de course et qui lui occasionnaient des chutes).
– Rééducation (motrice) en visionnant des vidéos dans lesquelles des gestes sportifs habituels sont filmés en gros plan (ex : service, coup droit, revers et smash en tennis) pour réactiver les aires cérébrales impliquées dans l’action. Ou encore les bluffantes techniques d’imagerie mentale au service des athlètes blessés : la judokate Scarlett Gabrielli qui, sur le tatami, exécute ses gestes à vide, en shadow (sans opposition) pour nourrir sa représentation motrice, et ainsi les entretenir.
Le flow, cet état de grâce
Chaque athlète a les yeux qui brillent de mille feux et est forcément un brin nostalgique quand vous évoquez ça avec lui : une ou plusieurs fois dans sa carrière, il a connu le flow**, « cet état physique optimal où la performance est vécue sans la moindre sensation d’effort ou de travail ».
« On est dans un état second, un état de conscience modifiée.
On est dans le rythme, hyper « focus » sur l’objectif, on se sent léger. C’est même, je dirais, quelque chose d’assez planant », assure Fatiha Dowkiw-Zaidane, conseillère municipale de Mont-Saint-Martin et ancienne championne de France espoirs du 1 500 m. Mais pour prétendre à ce genre d’instant de grâce et de plaisir intense, aussi fugace soit-il, il n’y a pas de miracle : il y a en amont, quotidiennement, du sang, de la sueur et des larmes…
Ismaël Bouchafra-Hennequin
* Aujourd’hui, des grands clubs comme Manchester United, le Barça ou encore l’Olympique Lyonnais utilisent cet entraînement cognitif, cette gymnastique mentale, pour former, détecter les meilleurs talents et améliorer leurs performances. Jean-Michel Aulas, le président des Gones, en est persuadé : « Le cérébral va prendre le pas. »
** Le flow est également appelé par les psychologues « la zone » ou « le flux ». https://youtu.be/Hm2FKJz58Jg?t=213