Depuis plusieurs jours, le sujet de l’addiction au sport refait surface. A l’origine, une confession de l’ancien footballeur Bixente Lizarazu.
Invité de Marc-Olivier Fogiel pour la promotion de son livre, l’ancien joueur du Bayern Munich avoue pratiquer le sport à très haute dose. « C’est ma passion. J’ai trouvé mon équilibre comme ça (…), ça a été ma boussole toute ma vie. C’est vrai que je suis un peu excessif. Il y a cette bigorexie, je le sais. Mais je préfère avoir cette maladie, entre guillemets, que d’autres addictions. Simplement, il faut que je sache la gérer« . Mettons des mots sur deux maux.
A l’évidence, Michael Phelps est en train de filer un mauvais coton. Il ne pense plus qu’au golf. L’ancienne star des bassins, médaillé à 22 reprises aux Jeux olympiques, se noie désormais dans sa nouvelle passion. J’ai eu l’occasion de le constater de mes yeux et de mes oreilles lors du récent Open de Phoenix, étape du PGA Tour, où, avec passion, il a raconté combien ce sport consumait désormais quantité d’heures de son existence. Il a admis, par exemple, avoir listé une centaine de parcours à travers le monde sur lesquels il aimerait taper la balle un jour et celui de Scottsdale, sur lequel se déroulait l’Open de Phoenix, faisait justement partie de ceux-là.
Dans l’Arizona, Phelps a participé au pro-am du tournoi en compagnie de Bubba Watson, le dernier vainqueur du Masters, et le moins que l’on puisse dire est qu’il a copieusement arrosé le parcours, laissant planer le doute sur la réalité de son talent supposé. Lorsque Watson a été questionné sur les qualités de Michael Phelps club en main, le fantasque Américain a souri: «il est arrivé au bout des 18 trous et c’est déjà ça!»
Mais Phelps prend le golf tellement au sérieux qu’il vient de signer un contrat officiel avec Ping, l’un des principaux équipementiers de ce sport. Il se retrouve même l’acteur principal d’une série de leçons réalisée par la chaîne spécialisée, Golf Channel. Dans ce programme, Phelps bénéficie des conseils de Hank Haney, ancien entraîneur de Tiger Woods, qui tente, lors de plusieurs épisodes, de faire progresser le champion de Baltimore. A seulement 27 ans, il est clair qu’au fond de lui, Phelps n’écarte pas tout à fait le rêve de réussir un jour dans ce sport au plus niveau.
DES NUITS A GOLFER
Toujours lors de cet open de Phoenix, il était fascinant aussi d’écouter Padraig Harrington, vainqueur de trois titres majeurs dans sa carrière, répondre, sans être relancé, pendant près de 20 minutes —oui, 20 minutes— à une seule et simple question: «Avez-vous changé votre swing?» Dans sa longue digression qui n’en finissait plus, l’Irlandais évoquait, entre les mots, la torture mentale que constitue pour lui (et pour tout golfeur) la recherche de la position idéale pour déboucher sur le geste «parfait». Impossible quête, en réalité, puisque Harrington, en souriant, avouait changer sa position plusieurs fois par jour.
Chez les professionnels comme chez les amateurs, l’équation qui consiste à tenter de mettre une petite balle blanche dans un trou engendre toutes sortes d’inconnues qui peuvent remplir vos nuits comme un cauchemar (ou un rêve). Et peut-être plus qu’aucune autre discipline, à l’exception peut-être de la course à pied, le golf, quand on y goûte, peut vite tourner à l’addiction quand celle-ci ne se transforme pas carrément en petite et douce folie comme pour Phelps et Harrington.
Il est possible qu’autour de vous, vous ayez entendu de drôles d’histoires: untel aurait été contraint au divorce parce que son conjoint ne pensait plus qu’au golf; pour préserver l’unité de son couple, elle a été obligée de se mettre au golf; il s’est mis en tête de jouer tous les plus grands parcours mondiaux et dépense l’argent familial sans compter.
A titre personnel, j’ai connu quelqu’un qui voulait abandonner son métier dans la banque, où il gagnait grassement sa vie, pour tenter les cartes européennes, c’est-à-dire qu’il croyait en ses chances de se qualifier un jour sur le circuit européen sous le prétexte qu’il tapait fort dans la balle. Des menaces sérieuses de son épouse l’ont ramené sur terre, mais il reste chez lui une petite blessure qui ne cicatrisera jamais. En son for intérieur, il est persuadé qu’il aurait pu aller jusqu’au bout de son pari alors que cela n’était tout simplement pas réaliste. Il avait vraisemblablement plus de chances de trouver la bonne combinaison du Loto que d’arriver à ses fins sur les parcours du Vieux Continent.
UN TITRE GLORIEUX «dingue de golf de l’année»
Des histoires comme celles-là, il y en a florès. Jusqu’à récemment, il existait même aux Etats-Unis la très sérieuse «Golf Nut Society» présidée par un certain Michael Donavan, «headnut» en chef. Tous les enragés de golf pouvaient y adhérer moyennant une vingtaine de dollars afin de pouvoir prétendre au titre glorieux de «dingue de golf de l’année».
En 1989, le légendaire basketteur Michael Jordan, qui partage avec Michael Phelps le même amour dévorant du golf, décrocha ainsi la timbale pour avoir snobé la cérémonie qui devait le désigner «joueur NBA de l’année» afin de disputer 36 trous à Pinehurst, en Caroline du Nord. Parmi les primés, citons aussi Nobby Orens, un agent de voyages californien qui a joué trois 18 trous en 24 heures à Londres, New York et San Francisco. Ou Steve Thorval arrivé en retard à son mariage parce qu’il était au cœur d’une partie qu’il ne pouvait se résoudre à quitter et qui saccagea sa lune de miel en raison de sa folie golfique. «A mon passif, deux faillites professionnelles à cause de mon addiction au golf, avoua-t-il au magazine Golf Européen. 250.000 dollars dépensés en 50 ans en green fees, cotisations, abonnements à des magazines de golf, clubs par centaines, leçons particulières…»
Comme dans toutes les addictions, les golfeurs atteints par cette «maladie» ont un sentiment de manque dès lors qu’ils ne jouent pas sachant que comme au poker, le golfeur croit éternellement qu’il peut se «refaire». Après un trou catastrophique, pourquoi ne pas rêver à un miraculeux trou en un sur ce par 3 tout désigné pour lui porter chance? C’est la magie (ou l’horreur) du golf, en effet. Vous pouvez être au départ d’un par 3, avoir un bon niveau de jeu, et faire aussi bien voire mieux que Tiger Woods en imaginant qu’il serait à vos côtés dans la même partie.
DROGUE CONTRE DROGUE
Contrairement à d’autres sports, où le physique écrase tout, rien n’est finalement impossible avec cette excitation supplémentaire que d’un jour à l’autre, le golf vous permet d’alterner le pire et le meilleur (quand ce n’est pas le sublime!) sans aucune explication logique. Et cela à tous les âges, autre supériorité du golf, puisqu’il est possible de mieux scorer à 70 ans qu’à 30 -aucun autre sport ne vous offre ce luxe de pouvoir être plus performant l’âge venant.
C’est ce nirvana à la portée de tous, en quelque sorte, qui fait perdre les esprits et que les magazines de golf à travers le monde ont bien compris en vous promettant, numéro après numéro, de «gagner en puissance et précision», «d’améliorer votre drive de 20m» ou de «mieux gérer votre stress au putting». Ou les marques qui ont toujours le dernier driver ou l’ultime putter capables de nous rapprocher des champions.
Comme de bons «dealers» de rêve pour les accros que les tous les golfeurs du dimanche peuvent devenir. Avec cette jolie note d’espoir, toutefois, que cette drogue peut aussi vous sauver comme l’acteur Dennis Quaid ou le hard-rocker Alice Cooper sortis de la cocaïne et du whiskey grâce la pratique du golf dont ils ne peuvent désormais plus se passer. Yannick Cochennec
Être accro au sport est effectivement reconnu et, depuis plusieurs années, comme une vraie pathologie. Le terme bigorexie – contraction de « big » et « orexis » (appétit) – a été inventé pour qualifier la soif sans limite de certains culturistes dans l’accroissement de leur musculature. Le terme s’est depuis étendu à ceux qui multiplieraient plus que de raison leurs heures en salle de sport ou leurs sorties running.
« On peut trouver des gens accros dans toutes les catégories de pratiques sportives. Même dans un sport anodin comme le golf, il y a des accros: les vacances et les week-ends sont centrés sur le golf, ils vont sur un green qu’il pleuve ou qu’il vente », remarque Dan Véléa, psychiatre-addictologue, un des premiers à s’être intéressé à la question en France.
« Comme dans toute addiction, il y a une focalisation sur un centre d’intérêt du sujet »
Comment reconnaître un bigorexique ou savoir si on est soi-même atteint? « Comme dans toute addiction, il y a une focalisation sur un centre d’intérêt du sujet », reprend Dan Véléa. « On a deux types de critères: le quantitatif, en termes de temps passé à la salle ou ailleurs. Et il y a le critère quantitatif en termes d’intensité. Quelqu’un qui va faire une heure et brûler 2000 calories, c’est quelque chose de très intensif. Et ces personnes-là ne prennent pas le temps de récupérer. Ensuite, il y a l’aspect des blessures, qui sont souvent ignorées ». Un test de dépistage en 21 questions, l’EDS-R (pour « exercise dependance scale-revised » existe également.
Tomber dans l’addiction au sport démarre selon le psychiatre par « un défaut d’image ou d’estime de soi qui peut pousser à vouloir modifier son image corporelle« , dans une société « qui est dans le culte de l’apparence et de la performance ». Mais le cerveau prend aussi rapidement le relais.
« Dans un sport d’endurance, au bout de 40 ou 45 minutes, on a des gens qui ressentent les endorphines produites par l’organisme et qui procurent du bien-être », reprend Dan Véléa. « On a aussi la dopamine, qui est un précurseur de tous les circuits de la dépendance. C’est une molécule du plaisir, qui fait que ces gens sont dans des états euphoriques, et qu’ils outrepassent des douleurs, la fatigue, et tout le reste, et qui peut même pousser au désinvestissement familial ».
« Arriver à distinguer l’activité physique de santé de l’addiction »
Le tableau a de quoi faire peur à tous ceux qui s’imaginaient rechausser leurs baskets pour se remettre au sport avant l’été.
D’autant que la bigorexie induit également un phénomène de manque « similaire à celui de la cigarette« , assure Jean Fournier. Le président de la Société française de psychologie du sport (SFPS) tient toutefois à rappeler que seuls « les psychologues sont habilités à détecter les personnes qui ont des pathologies » et qu’il faut aussi « arriver à distinguer l’activité physique de santé de l’addiction« .
Être accro au sport n’est d’ailleurs pas qu’une question de temps passé, sinon tous les sportifs de haut niveau seraient touchés.
A la SFPS, on met en avant une classification en quatre niveaux pour tenter de détecter les cas les plus graves. « Dans la première, on pratique parce qu’on trouve ça agréable et que ça nous apporte des récompenses. Dans la deuxième, on veut arriver, non pas à se faire plaisir, mais à diminuer les effets du stress. Dans la troisième, on va concevoir sa journée autour d’un programme d’activité physique. Enfin, on va trouver dans la quatrième ceux qui sont carrément addicts, ça devient leur vie: la motivation principale est d’éviter le manque ».
« La difficulté principale, ce sont les gens qui souffrent d’obésité, de diabète et de maladies cardio-vasculaires »
Dans ces cas extrêmes, on ne met pas en place un sevrage drastique du jour au lendemain, mais « on peut ouvrir un cercle ‘occupationnel’ pour d’autres activités: marcher, faire du vélo tranquille, et dans une salle, faire appel à des coachs spécialisés qui sont là pour éviter les excès », poursuit Dan Véléa. Le psychiatre fait toutefois remarquer que si la bigorexie existe bel et bien, elle reste « très difficile à quantifier statistiquement, parce qu’on n’a pas beaucoup d’analyses spécifiques ». Il est donc impossible de déterminer un pourcentage des pratiquants potentiellement atteints.
Dans le domaine de la santé publique, c’est d’ailleurs bien le manque de sport, et pas sa pratique excessive, qui fait le plus de dégâts.
« Pour les gens qui en souffrent, c’est toujours un problème », reprend Jean Fournier. « Mais c’est un faux problème au niveau de la population générale. Il faut replacer cette question dans un contexte de santé publique général.
Ceux qui n’ont pas envie de pratiquer vont trouver ça incroyable. Mais aujourd’hui, la difficulté principale, ce sont les gens qui souffrent d’obésité, de diabète et de maladies cardio-vasculaires. Là on a un problème. Donc parler de ça pour éviter de parler des problèmes du sucre et de la sédentarité, c’est assez facile ».