C’est un fait universel : le bon geste, celui qui permet de frapper la balle plus fort, de tenir en selle ou de courir plus vite, est rarement celui qui vient instinctivement. De l’oeil de l’entraîneur à celui de la technologie, tour d’horizon de la technique sportive.
Quel débutant n’a jamais entendu son prof de tennis lui ordonner de ne pas tenir « sa raquette comme une poêle à frire ! » Combien de fois les cavaliers novices ont-ils entendu leur moniteur crier : « Redresse-toi et rentre ces pointes de pied ! », alors que faire le contraire semblait si naturel.
« Le geste sportif n’est pas inné, même s’il s’agit d’une discipline apparemment aussi aisée et naturelle que la course à pied », écrit Pierre Charreton, auteur du livre Le Sport, l’Ascèse, le Plaisir, et selon qui, aussi doué soit-on, certains mouvements ne s’acquièrent que par le travail.
« Tout le monde sait courir, mais courir à haut niveau, ce n’est pas du tout intuitif, confirme Gaël Guilhem, directeur du laboratoire Sport, expertise et performance de l’Insep.
Regardez comment les sprinteurs montent leurs genoux et allongent leur foulée. Quand on débute, au contraire, nous avons tous tendance à augmenter le nombre de foulées. Mais, une fois la technique acquise, on progresse très vite, sans avoir besoin d’augmenter sa force musculaire. Avec les bons gestes, nous pourrions tous courir beaucoup plus vite ! »
En clair, il faut d’abord casser les mauvaises habitudes pour acquérir les bonnes, jusqu’à les rendre parfaitement naturelles. Mais à quoi reconnaît-on le bon geste ?
Qui a décidé de la meilleure façon de tenir une raquette de tennis ou d’enchaîner les foulées ?
La technologie vient en aide aux athlètes
« Jusqu’à récemment, cela se faisait de façon empirique : c’est l’œil de l’entraîneur et le ressenti de l’athlète qui permettaient de sélectionner, pour chaque sport, les gestes les plus efficaces. Mais, depuis les années 2000, les progrès de la technologie permettent d’aller beaucoup plus loin », détaille Gaël Guilhem. Grâce à des plates formes situées sous la piste, son équipe enregistre par exemple les forces d’appui des sprinteurs dans les 40 premiers mètres.
En décortiquant leur intensité, leur vitesse, leur direction chez les plus rapides, ils peuvent aider les athlètes à corriger leur position, à augmenter l’amplitude de la foulée au bon moment, etc. Et cela, de façon personnalisée : grâce à la technologie, le bon geste est aussi celui qui s’adapte le mieux aux particularités de chaque athlète. Une quête de la perfection qui permet aussi de limiter le risque de blessure. Un aspect crucial dans la carrière d’un sportif !
Ainsi, en tennis, des modèles mathématiques de simulation musculo-squelettique permettent de connaître le type de service le plus risqué pour les muscles ou les articulations, et dont il vaut mieux ne pas abuser à l’entraînement. Au milieu de cette avalanche technologique, quelle place reste-t-il pour l’inventivité humaine ?
Selon la théorie des 10.000 heures, la pratique intensive et régulière d’une activité suffirait à transformer un néophyte en professionnel.
Pourquoi étrange? Tout simplement parce que Dan McLaughlin n’avait jamais pratiqué ce sport ou même tenu un club de golf entre ses mains.
Le jeune trentenaire a simplement souhaité vérifier la fameuse théorie des 10.000 heures, développée par le psychologue américain K. Anders Ericsson.
«Le talent inné n’existe pas»
Ce dernier, en étudiant un panel de musiciens professionnels divisés en trois groupes de niveau –des purs génies aux simples professeurs– a constaté que le niveau ne dépendait pas du talent inné, mais de la pratique.
En d’autres termes, les génies ont travaillé plus que les autres et avec une plus grande régularité. L’analyse sur plusieurs années –quinze ans précisément, de l’âge de 5 ans à 20 ans– a démontré que «les élèves qui allaient devenir les meilleurs se sont mis à exercer plus que tous les autres […], jusqu’à atteindre un total de 10.000 heures. Par contraste, les élèves seulement “bons” ont cumulé 8.000 heures, et les futurs professeurs de musique, le dernier groupe, à peine plus de 4.000 heures au total».
Il existerait un phénomène neurologique qui voudrait que la répétition continue modifierait les comportements et les réflexes dans le cerveau, pour permettre au sujet d’acquérir une compétence très spécifique et un geste parfait.
C’est grâce à un livre du journaliste américain Malcom Gladwell, Tous winners! Comprendre les logiques du succès, que la théorie des 10.000 heures a été popularisée. Dans son ouvrage, le rédacteur du New Yorker explique que le «talent inné n’existe pas»: selon lui, tout ne serait qu’histoire de travail et de répétition. «Si vous voulez devenir expert dans un domaine particulier, il suffit de vraiment vous donner les moyens et de répéter, répéter, inlassablement.»
Les Beatles et les footballeurs pour preuve
Gladwell cite l’exemple des Beatles qui en 1960, avant qu’ils ne deviennent le groupe phare de la pop-culture, ont longuement et patiemment répété leurs gammes dans les salles de concert d’Hambourg, en Allemagne.
John Lennon, cité par Astrid Kirchherr, auteure de Hamburg Days, le reconnaissait parfaitement: «Nous avons progressé et avons pris confiance en nous. C’était inévitable, à jouer toute la soirée. Devant des étrangers, ça nous convenait: nous devions faire encore plus d’efforts, y mettre tout notre cœur et toute notre âme, nous dépasser. […] À Liverpool, nous n’avions jamais fait que des sessions d’une demi-heure, et nous nous contentions de nos meilleurs morceaux, chaque fois les mêmes. À Hambourg, pour rester en scène pendant huit heures, il fallait vraiment trouver une nouvelle façon de jouer.»
D’après Malcom Gladwell, la présence des Beatles à Hambourg a quelque peu expliqué leur réussite future; c’est là-bas qu’ils sont devenus maîtres dans le son et la chanson.
Dans le même sens, les économistes Simon Kuper et Stefan Szymanski, dans leur livre Pourquoi les attaquants les plus chers ne sont pas ceux qui marquent le plus, ont utilisé la théorie des 10.000 heures afin d’expliquer la présence ultra-majoritaire des classes populaires dans le football.
En partant du constat d’une certaine homogénéité sociale dans les sélections britanniques (il n’y a que des «fils de prolo», pourrait-on dire), ils en sont venus à considérer que, «parce que les jeunes des cités et des quartiers précaires n’avaient pas d’autre occupation que de jouer aux foot aux pieds des immeubles, ils ont, très rapidement et très tôt, acquis des compétences spectaculaires dans le ballon rond et ont eu plus de chance de devenir footballeur professionnel».
Un peu comme le joueur de Manchester United, Paul Pogba, acheté par les Reds Devils 110 millions d’euros en 2016. Lors d’un reportage, un éducateur du club de Roissy-en-Brie expliquait que durant son enfance, Pogba passait son temps à jouer au foot avec ses frères: «Ils arrivaient au stade avec un ballon sous le bras, ils ne loupaient jamais un entraînement, alors qu’ils avaient déjà joué pendant deux heures dans leur quartier».
Échec de l’expérience pour McLaughlin
On deviendrait ainsi expert en faisant ses gammes, en s’entraînant sans cesse et en répétant machinalement le même geste, des dizaines ou des centaines de fois.
C’est précisément ce que s’est dit notre golfeur Dan McLaughlin. Dès 2010, il a souhaité, avec une grande détermination et une motivation importante, vérifier la théorie des 10.000 heures en devenant golfeur professionnel.
À 31 ans, alors qu’il n’avait jamais foulé un green de golf et qu’il n’était pas du tout un sportif accompli, il a commencé à s’entraîner plus de trente heures par semaine –sans pause, sans discontinuer, sans faillir.
Au bout de six ans d’efforts, il avait atteint le seuil fatidique des 10.000 heures. Cela a-t-il fonctionné? Eh bien absolument pas!
Au golf, il faut un handicap maximum de deux pour se qualifier dans les tournois majeurs et espérer obtenir une qualification au PGA Tour –le niveau est dégressif: on commence avec un handicap cinquante et plus on s’améliore, plus ce dernier baisse, jusqu’à atteindre le score ultime de zéro. McLaughlin n’a jamais dépassé cette barrière. Son meilleur score reste 2,6, obtenu en janvier 2014; en 2016, il se maintenait difficilement autour des 5,5 de handicap.
Aujourd’hui, Dan McLaughlin, bien qu’il se soit pris de passion pour le golf, a abandonné son projet et s’est lancé dans l’entrepreneuriat en créant une société de boissons sucrées, la Portland Soda Works.
L’âge de début plus important que la pratique
Les psychologues Brooke N. Macnamara, David Z. Hambrick et Frederick L. Oswald de l’université de Princeton ont eux aussi souhaité vérifier la véracité de la théorie des 10.000 heures, en décortiquant quatre-vingt-huit études qui avaient étudié «la pratique délibérée» avec des outils économétriques et statistiques.
Autrement dit, ils ont testé mathématiquement si, oui ou non, la répétition était la variable significative qui expliquait le talent des sujets. Conclusion? La durée d’entraînement et l’effort d’apprentissage ne rendent compte d’une différence que de 12% entre les «génies» et les «seconds couteaux».
«Il n’y a aucun doute que la pratique délibérée est importante, à la fois d’un point de vue statistique et théorique. Seulement, elle est moins importante que cela a été avancé», concluent les scientifiques.
Reste maintenant à savoir ce qui explique le talent, si ce n’est pas la répétition. Sûrement «l’âge à partir duquel on commence une activité», avancent les chercheurs. Passé 30 ans, mieux vaut donc chasser de votre esprit votre rêve soudain de devenir star de rock ou joueur professionnel de golf –à moins d’avoir 10.000 heures à perdre.
Les sexagénaires, forces vives du golf français
«Le golf n’est pas un sport, mais un jeu de balles», disait joliment Denis Lalanne qui en a chroniqué les exploits pendant longtemps dans les colonnes de L’Equipe. Acceptons cette définition. Un jeu de balles où les plus vieux ont donc leur chance face aux plus jeunes, comme aux échecs ou au billard, mais qui, contrairement aux échecs ou au billard, est capable de susciter une ferveur populaire que seul un sport est capable d’engendrer.
La renaissance de Watson à Turnberry a été, en effet, l’événement télévisuel du week-end aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Car il était impossible de quitter son écran sans connaître la fin de la dramatique. «Ça me fait mal aux tripes», a dit l’Américain après sa défaite. Et c’est exactement ce que l’on a ressenti devant notre téléviseur. Et il n’y a que le sport pour nous chambouler de la sorte.
Il y avait quelque chose d’émouvant à voir Watson tenter de remonter le temps de sa prestigieuse carrière. Mais après tout, si l’on parle d’ex-joueurs de football, de tennis ou de basket, on n’évoque jamais, en revanche, d’ex-joueurs de golf comme si le golf était un sport de toute une vie pour un professionnel. Il n’y a pas si longtemps encore, Jack Nicklaus, Arnold Palmer ou Gary Player, autres légendes d’hier, disputaient encore, avec Tom Watson, ces mêmes tournois du Grand Chelem. Alors que pour nous les amateurs, le golf ressemble davantage à un sport de «fin de vie» pour accompagner agréablement nos retraites. En France, selon les statistiques publiée en 2007 par la Fédération Française de Golf, ils étaient, en effet, 114.000, sur 388.000 licenciés, à avoir 60 ans et plus. Soit près du tiers des «forces vives» de la discipline.
A quelques semaines de son 60e anniversaire, et après ce cruel coup du sort, Tom Watson n’en a toujours pas fini avec ses rêves de champion. En 2010, il l’a annoncé, il sera au rendez-vous du 139e British Open à Saint-Andrews qui devrait être le dernier, en principe, puisque les organisateurs n’autorisent pas la présence de compétiteurs de plus de 60 ans. L’Italien Matteo Manassero, 16 ans et trois mois, qui a partagé la partie de Watson lors des deux premières journées à Turnberry, espère être également de la fête. Manassero a fini à une ahurissante 13e place, en signant une dernière carte de 69 qui aurait suffi à Tom Watson pour triompher. Comme quoi, le golf peut être aussi un sport de (très) jeunes…
Yannick Cochennec