L’erreur est la condition même de l’apprentissage !

Dès la naissance, notre cerveau est capable d’apprendre plus vite et plus profondément que la plus puissante des machines. Le jeu, la concentration ou le sommeil peuvent augmenter nos capacités d’apprentissage, selon Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive, dont le dernier ouvrage vient de paraître.

Stanislas Dehaene est professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France (Paris). Il publie Apprendre! Les talents du cerveau, le défi des machines (Ed. Odile Jacob), qui fourmille d’astuces et de récits d’expériences. L’occasion de l’interroger sur les «recettes» d’un apprentissage réussi, inspirées des neurosciences, de la psychologie cognitive et des sciences de l’éducation.

Le Temps: Tous les élèves – et leurs parents – rêvent de connaître ce secret: apprendre à mieux apprendre…

Stanislas Dehaene: Personne, malheureusement, ne nous a appris les règles qui font que notre cerveau mémorise et comprend – ou qu’il oublie et se trompe! C’est dommage, car les interventions pédagogiques qui marchent ont été recensées par un site anglais, l’Education Endowment Fund (EEF). Verdict: savoir apprendre est l’un des plus importants facteurs de réussite scolaire. Tous les enfants démarrent dans la vie avec une architecture cérébrale analogue. Leurs compétences innées pour le langage, l’arithmétique, la logique ou les probabilités révèlent leurs intuitions précoces et abstraites, sur lesquelles l’enseignement doit s’appuyer.

Un bébé opère 10 à 1000 fois plus vite que les réseaux de neurones artificiels actuels!

Stanislas Dehaene

Les bébés ont déjà un sens inné des probabilités, dites-vous…
Le bébé est un scientifique en herbe. C’est même une machine à apprendre, souvent imitée mais jamais égalée! Dès les premiers mois de vie, il formule – à son insu – des hypothèses sur les observations qu’il fait de son environnement. Ensuite, il les revoit constamment à la lumière de ses nouvelles expériences, par un jeu de déductions rigoureuses, grâce à quoi il peut apprendre le langage en un temps record.Prenons le mot «chien», par exemple. La première fois que sa mère lui dit «regarde ce chien», le bébé peut croire qu’il s’agit du seul chien qu’il voit ou, à l’autre extrême, de tous les quadrupèdes existants. Quand le bébé entend de nouveau ce mot, appliqué à d’autres chiens, il élargit le concept à toute l’espèce, tout en le restreignant à cette seule espèce. Il suffit de trois ou quatre expériences pour que le bébé converge vers le sens d’un mot nouveau. Ce faisant, il opère 10 à 1000 fois plus vite que les réseaux de neurones artificiels actuels!

Le bébé humain nous étonne par bien d’autres compétences…

Il expérimente en permanence. Quand il fait tomber sa cuillère pour la 10e fois du haut de sa chaise, vous pensez sans doute qu’il met à l’épreuve votre patience parentale. Il n’en est rien (quoique…): tel un mini-Galilée, il teste les lois de la gravité!

Mais il a aussi d’étonnantes intuitions sur les nombres, les objets, la psychologie… Très tôt, par exemple, il teste les intentions des gens – bienveillantes ou malveillantes. Au laboratoire, nous évaluons ses savoirs en mesurant son degré de surprise (la durée de son regard sur une scène) quand il observe des situations qui violent les règles de la physique, de la géométrie, des probabilités…

L’enfant n’apprend bien que lorsqu’il génère en permanence des hypothèses nouvelles. Un élève passif n’apprend guère.

Un apprentissage réussi repose sur quatre piliers… Quels sont-ils?

Le premier est l’attention. Aucune information ne sera mémorisée si elle n’a pas d’abord été amplifiée par l’attention et la prise de conscience. Cela impose de ne pas se laisser distraire par des informations non pertinentes – donc, pour les enseignants, d’écarter toute source de distraction: classes trop décorées, etc. Notre attention sélective doit être orientée vers le bon niveau d’informations. Quand un élève dit aux enseignants «Je ne vois pas ce que vous voulez dire», il est sincère: il n’a pas l’image mentale correspondante. Il faut donc être patient avec lui.

Deuxième pilier de l’apprentissage: l’engagement actif…

L’enfant n’apprend bien que lorsqu’il génère en permanence des hypothèses nouvelles. Un élève passif n’apprend guère. L’enjeu est de le faire participer en cours pour que son esprit pétille de curiosité, pour qu’il anticipe sur ce qu’il croit avoir compris… En pratique, les bons enseignants utilisent déjà cette notion en alternant des périodes de cours magistral avec celles où ils sollicitent les enfants à l’aide de questions. Un bilan des études sur le sujet le montre: les enfants qui bénéficient d’un enseignement favorisant l’engagement actif ont des résultats supérieurs d’un tiers.

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Le retour sur erreur est le troisième pilier de l’apprentissage.

Mais il implique d’accepter les erreurs…

En effet. L’enfant qui s’engage doit rapidement recevoir un «retour sur erreur». S’il a juste, rien à changer, sinon il doit «remettre à jour son modèle mental». L’erreur est la condition même de l’apprentissage. J’estime que les notes ne sont pas un bon système d’évaluation: elles ne donnent pas une information précise sur l’endroit où l’élève s’est trompé. Elles n’ont pas vraiment d’intérêt pédagogique, mais génèrent du stress. Or on sait que les émotions positives nourrissent la curiosité et l’enthousiasme de l’enfant, mais que les émotions négatives bloquent les apprentissages: elles figent les réseaux de neurones. Je plaide donc pour décomplexer l’erreur, notamment dans l’apprentissage des mathématiques, trop souvent source de stress.

Les écrans font partie de notre vie: ce n’est pas leur présence mais leur contenu qui importe. Les jeux vidéo peuvent être un vecteur d’apprentissage très utile

Qu’en est-il de la consolidation, dernier pilier de l’apprentissage?

Il ne suffit pas d’avoir appris une seule fois: les connaissances ne sont ni fortement imprimées, ni automatisées. Encore faut-il, par un jeu de répétitions régulières, déplacer cet apprentissage superficiel vers des circuits cérébraux plus profonds qui les rendent autonomes.

La lecture en offre un exemple: au début, on déchiffre avec lenteur les mots, d’une façon consciente qui demande un effort considérable. Mais, à mesure que la lecture s’automatise, les circuits en jeu deviennent inconscients: cela libère notre cortex frontal, qui peut s’occuper à d’autres tâches.

Pour maximiser la mémorisation à long terme, nous devons réviser nos connaissances à intervalles réguliers et croissants.

Si nous voulons les retenir pendant 10 ans, il faut les réviser au bout de 2 ans.

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Quid de l’importance du sommeil?

Il joue un rôle crucial dans cette consolidation. C’est là une découverte récente des plus intéressantes: le sommeil est une partie intégrante de l’algorithme d’apprentissage de notre cerveau. Quand nous dormons, nos neurones rejouent 20 fois plus vite ce que nous avons appris durant la journée. Cela permet une consolidation, mais aussi une abstraction. Chez l’enfant, la durée et la profondeur du sommeil sont directement corrélées à la quantité d’apprentissage – trois fois plus que chez l’adulte. Un immense domaine s’ouvre ici. En laboratoire, on peut augmenter la profondeur du sommeil en diffusant un bruit de vagues synchrones avec les ondes lentes du cerveau. Au réveil, les apprentissages sont alors mieux consolidés.

Vous livrez cette autre recette:

on apprend mieux quand on alterne les temps d’apprentissage avec des tests sur nos connaissances…

Une série d’études a comparé la réussite à des tests de mémoire de deux groupes d’enfants ou d’adultes. Le premier passait tout son temps à étudier. Le second alternait – sur une même durée – les périodes d’étude et les périodes de tests des connaissances acquises. Résultat: ce dernier groupe mémorisait bien mieux. Les tests jouent un rôle actif dans l’apprentissage. Certains enseignants en ont l’intuition, mais à l’école ce n’est pas vraiment mis en pratique.

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Que pensez-vous du débat sur les bénéfices et les risques des écrans?

C’est un débat extraordinairement stérile. Les écrans font partie de notre vie: ce n’est pas leur présence mais leur contenu qui importe. Les jeux vidéo peuvent être un vecteur d’apprentissage très utile. Y compris des jeux d’action non conçus à cette fin: ils peuvent apprendre à l’enfant à se concentrer, à prendre des décisions rapides…

Le vrai danger, c’est le risque d’addiction. Mais si l’on contrôle ce risque, on peut tirer bénéfice de l’immense appétence des enfants à l’égard des jeux vidéo. A contrario, ce serait dommage que l’informatique envahisse tout, au point d’éloigner l’enfant de la lecture ou de la musique…

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