Adela CERNOUSEK

Il faut croire que c’est le tarif en vigueur. On savait d’après la petite histoire que Céline Boutier frappait 800 balles par jour au practice dans ses jeunes années. Numéro 3 mondiale et vainqueure d’un Majeur en 2023 (l’Amundi Evian Championship), la Française a taillé sa route en répétant inlassablement ses gammes.

Et fait des émules, aussi. Inflation oblige, Adela Cernousek, 21 ans, qui la côtoiera l’an prochain sur le LPGA, l’élite du golf féminin, en a ajouté 200, histoire d’arrondir les comptes. 

« Il n’y a pas beaucoup de joueurs capables de taper autant dans une journée, suggère le papa, Ludek, 51 ans, ex-international tchèque de volley, reconverti dans l’enseignement au Provençal Golf d’Antibes.

Si vous tapez une balle dégueulasse en compétition, elle sera plutôt normale après en avoir frappé 1 000 chaque jour, ça fait toute la différence. »

Intarissable et piquant, l’ancien passeur débite l’irrésistible ascension de sa fille, avec son accent entremêlé d’expressions typiquement françaises. 

« Le talent, on n’en a rien à faire, balaye-t-il. C’est même dangereux, et mieux vaut ne pas en avoir. Pour moi, Adela n’en a pas vraiment. Elle ne sait même pas lancer un ballon… Mais elle a envie de réussir, c’est ce qu’elle a de plus fort. »

Il raconte comment celle qui a remporté le Championnat NCAA, en mai sous les couleurs de la Texas A & M University à College Station, au nord de Houston, a décroché son billet mardi dernier pour le circuit pro américain, au fin fond de l’Alabama, après 90 trous disputés en six jours au lieu de cinq, en raison des trombes d’eau qui ont interrompu le dernier tour.

« Son caddy n’a pas pu rester jusqu’au bout. Adela est donc allée s’acheter un chariot et a dit : « Il me reste 14 trous, pas besoin d’un caddy ! » N’importe qui aurait pleurniché : « Merde, je n’ai pas de chance, etc. » Elle , elle s’en fiche ! »

« Elle m’a dit que j’ai été trop dur, mais il fallait qu’elle soit capable de jouer dans n’importe quelles conditions. »

Il faut rembobiner la vie d’Adela pour trouver la source de l’exploit. Née à Montpellier de parents tchèques tous deux volleyeurs, elle a sillonné le sud de la France au gré des changements de club de son géniteur, passé par Nice, Montpellier, Alès (où il sera champion de France Pro B en 2008) et Toulouse, latitude au-delà de laquelle il n’aurait signé dans aucune autre équipe,

« pour que ma fille puisse jouer au golf toute l’année ».

À 4 ans, elle accompagne au practice Ludek, tombé dans la marmite du golf, qu’il pratique le dimanche pour se détendre après les matches de la veille. Très vite, la gamine demande qu’on lui achète un club, puis un sac pour imiter celui qui raconte avoir vu une vidéo de Tiger Woods remportant sa première compétition à 5 ans, ce qu’elle fera à son tour au même âge. À l’école de golf de Nîmes Vacquerolles, Emmanuel Thomas, son premier enseignant, n’a pas oublié son passage éclair. 

« On a tout de suite vu qu’elle était différente des autres, à l’écoute, très concentrée, très motivée, dit-il. Lui tapait des balles dans son coin, il savait qu’il ne fallait pas interférer. Ce sont des gens intelligents qui connaissent parfaitement le sport. »

Tant et si bien que le futur prof, diplômé en 2014, prendra le relais de l’enseignant, en plongeant dans les livres et les vidéos « de manière autodidactique au début ». 

En s’inspirant de méthodes commando, aussi. Sur le parcours, quand Adela tape un mauvais coup, il l’oblige à sprinter vers son point de chute en la suivant en voiturette. 

« Elle m’a dit que j’ai été trop dur, concède-t-il, mais il fallait qu’elle soit capable de jouer dans n’importe quelles conditions. Le vent, ou ci ou ça, rien à foutre ! » « Comme tous les sportifs de haut niveau, son papa a été assez exigeant, euphémise Gwladys Nocera, responsable de la filière féminine à la fédération, qui la suit depuis 2018. 

Grandir dans une famille de sportifs l’a beaucoup aidée, c’est un plus énorme. »

Sous les radars de la détection jusqu’à l’adolescence, Cernousek effectue quelques stages fédéraux sur l’insistance de son père. S’y lie d’amitié avec Marine Griffaut, son aînée de deux ans, conquise par 

« une personnalité vraiment atypique, celle d’une fille souvent dans son coin, très bosseuse, genre « je sais ce que je veux et je me fous de ce que pensent les autres » ». 

Après deux années au Creps d’Antibes, elle intègre le pôle France au Golf national dans les Yvelines, pour en être éjectée un an plus tard. 

« Ils la trouvaient nulle, sourit son père. Mais ça tombait bien, c’était le Covid… »

Retour sur la Côte d’Azur. Sous l’autorité paternelle et l’oeil d’une caméra, pendant la durée du confinement, l’adolescente tape des balles du matin au soir dans un filet depuis un tapis posé sur le parking de la résidence. Le genre de pensum aussi gratifiant que de frapper des services au tennis dans un grillage. Pas pour cette acharnée prête à tous les sacrifices. 

« J’aime énormément le golf, justifie-t-elle. Je veux juste accomplir, réussir un maximum depuis que je suis toute petite. »

« Elle est folle, enchaîne Ludek. Quand elle avait 10 ou 12 ans, un journaliste venu à la maison m’a dit qu’il n’avait jamais vu ça tellement elle était persuadée qu’elle deviendrait numéro 1 mondiale. Je lui ai dit oui, vous verrez, elle le sera, elle est tellement têtue, elle fait tout pour, c’est comme ça… » « Cette volonté la porte énormément, surenchérit sa copine Marine. Elle voit tellement grand qu’elle en développe une force. Elle n’a pas de frein, elle passe les vitesses (rires). »

Au fil de ses années de fac, Cernousek délaisse peu à peu son caractère de jeune femme « introvertie mais taquine et rigolote », selon Nocera, pour épouser un profil conforme à ses ambitions. 

« Elle tape très, très fort mais avait tendance à être plutôt timide sur le parcours, analyse la technicienne. Elle a beaucoup progressé cette année en cherchant à être plus offensive. Désormais, elle prend des risques. »

La preuve cet automne, en opérant un virage décisif contre l’avis de nombreux conseillers. Après avoir remporté la deuxième étape de qualifs pour le LPGA en Floride, il lui fallait obligatoirement passer professionnelle pour s’aventurer dans l’ultime épreuve. Renoncer à son cursus universitaire – même si elle tient à terminer en ligne ses classes en communication l’an prochain – et à une carrière amateur qui la destinait à la première place mondiale (après un bond de la 200e à la 7e), comme Boutier ou Pauline Roussin-Bouchard avant elle. En cas d’échec dans l’Alabama, pas de retour en arrière possible et l’Espon Tour (la D2 américaine) pour seul horizon. 

« J’avais peur d’avoir des regrets, dit-elle. On a beaucoup parlé en famille, on se disait que j’étais sur ma lancée et que c’était dommage de ne pas en profiter. Je me suis imaginé tous les scénarios, le pire comme le meilleur, je me suis dit OK, c’est le bon moment. »

En larmes du tee au green sur son dernier trou, Adela Cernousek a gagné gros. « De la folie, résume son formateur, impatient de la suivre l’an prochain aux États-Unis, où il n’a encore jamais mis les pieds. 

Ce n’est pas facile de réussir mais elle, elle connaît la clé, le schéma. C’est ça le plus difficile. Elle sait ce qu’il faut faire et comment le faire. » 

Sur le circuit, Ludek croisera au détour des plus grands tournois l’ancien numéro 2 ATP Petr Korda, père de la divine Nelly, installée sur le toit du golf mondial, avec qui il a effectué son service militaire. D’ici là, place au tri des sponsors qui se bousculent, à l’embauche d’un agent et à la recherche d’un caddy. Pourquoi pas (occasionnellement) Daniel, son petit frère âgé de 12 ans, 4 d’index et « bourré de talent, lui », qui avait fait ses preuves à Évian cet été ?