Les mécanismes inconscients contrôlent la plupart de nos comportements, nos choix, nos émotions, nos décisions, comme le montrent de nombreuses expériences de psychologie. La conscience ne serait que la partie émergée de l’iceberg des processus cognitifs.
« Je pense donc je suis », disait Descartes.
Loin de vouloir mettre à mal la théorie cartésienne, force est de constater que la majorité de nos actions sont inconscientes.
Ou plutôt « non conscientes », tient à préciser Marc Jeannerod directeur de l’Institut des sciences cognitives.
« Lorsqu’on freine devant un obstacle en voiture, heureusement qu’il ne s’agit pas d’une action consciente, insiste le chercheur. Le temps de prendre la décision consciemment, et on l’aurait heurté ! »
Car, oui, être conscient, cela prend du temps !
Du coup, l’inconscient revêt une importance dans nos comportements, que l’on ne soupçonnait pas.
Bien plus qu’un simple appui à la conscience, il aurait une part prépondérante dans tous les processus cognitifs : 90 % de nos opérations mentales seraient inconscientes !
Mais pour énoncer de tels propos, encore faut-il en apporter la preuve.
Or, traquer l’inconscient, identifier ses bases cérébrales, concevoir des expériences qui mettent en évidence son importance n’est pas chose aisée.
C’est en effet souvent au niveau du protocole que le bât blesse dans les expérimentations sur la conscience et l’inconscient, et les chercheurs du CNRS en font tous les jours le constat.
« La seule chose que l’on puisse demander à une personne, c’est une tâche consciente, souligne à propos Franck Ramus.
, chercheur au Laboratoire des sciences cognitives et psycholinguistiques.
Nous ne pouvons pas lui demander de faire quelque chose inconsciemment.
Il nous revient donc d’inventer des méthodologies dont les résultats ne peuvent être interprétés que par la mise en jeu de processus non conscients. »
Les mécanismes inconscients contrôlent la plupart de nos comportements, nos choix, nos émotions, nos décisions, comme le montrent de nombreuses expériences de psychologie. La conscience ne serait que la partie émergée de l’iceberg des processus cognitifs.
Lorsque les psychologues essaient de comprendre comment fonctionne notre esprit, ils parviennent souvent à une conclusion surprenante : nous prenons souvent des décisions sans y avoir réfléchi – ou, plus précisément, sans y avoir réfléchi consciemment. Lorsque nous décidons pour qui voter, ce que nous allons acheter, où partir en vacances, par exemple, nous ne mesurons pas que c’est notre inconscient qui est aux commandes, ou du moins qu’il joue un rôle essentiel. De plus en plus de résultats de recherche confirment chaque jour que l’inconscient cognitif dicte sa loi.
L’une des études les plus connues sur le pouvoir de l’inconscient concerne la façon dont nous décidons des candidats que nous souhaitons voir élus. Dans une expérience réalisée aux États-Unis, les sujets participant à l’expérience disposaient d’un temps très court (quelques dixièmes de seconde), pour observer des photographies. Il s’agissait de candidats à des postes de gouverneur ou de sénateur dans des États différents de ceux où les sujets de l’expérience votaient réellement. Ensuite, on leur demandait de prédire si ces candidats seraient ou non élus. De façon tout à fait surprenante, ce petit sondage se révéla cohérent avec le choix que les électeurs des États concernés firent au moment des élections réelles. Dans deux élections sur trois, les sujets avaient réussi à prévoir quels seraient les résultats des élections, simplement en regardant une photographie des candidats en moins de temps qu’il ne faut pour cligner des yeux.
Depuis plus de 100 ans, les scientifiques qui étudient comment fonctionne le cerveau s’intéressent au rôle des influences non conscientes sur nos pensées et nos actes. Tout au long de ses écrits, Sigmund Freud présentait la conscience comme le lieu des pensées et émotions rationnelles, et l’inconscient comme celui de l’irrationnel. Mais les psychologues cognitifs contemporains ont repensé l’approche freudienne. Ils montrent que les deux types de processus coopèrent pour répondre aux exigences de notre espèce, qu’il s’agisse de celles de nos ancêtres de l’âge de pierre qui, pour survivre, devaient chasser le mammouth ; de celles des chevaliers du Moyen Âge qui s’affrontaient lors de joutes équestres ; ou encore des traders qui cherchent à acheter et à vendre des actions en Bourse au meilleur moment.
La psychologie postfreudienne a relégué le Ça et le Moi aux oubliettes de la psychanalyse, et adopté une vision plus pragmatique de ce qui définit le soi non conscient. Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel d’économie en 2002, a décrit la différence entre ce que nous faisons de façon automatique et ce que nous contrôlons. Dans son best-seller Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée, D. Kahneman présente les processus de pensée automatiques comme rapides, efficaces et hors du domaine de la pensée consciente, autrement dit dépourvus de délibération ou de planification. Ils ne requièrent qu’un simple stimulus : les mots sur cette page, par exemple, se connectent sans effort à leur sens. Au contraire, les processus contrôlés exigent un engagement déterminé et relativement lent de la pensée consciente ; c’est le cas, par exemple, des efforts que l’on doit fournir pour remplir sa déclaration de revenus.
Tout comme le Ça et le Moi de Freud, le système automatique et le système contrôlé se complètent, mais, dans le même temps, ils s’opposent parfois. Il faut réagir instinctivement pour éviter un bus, mais il faut aussi que nous nous contrôlions pour ne pas donner un coup de poing au chauffard qui a failli nous renverser.
Les jugements instantanés – des processus de pensée quasi automatiques – sont fréquents. En dehors des individus, en nombre limité, que chacun d’entre nous connaît bien, la plupart des individus avec lesquels nous interagissons sont des étrangers, que nous ne voyons généralement qu’une seule fois. C’est le cas, par exemple, des personnes présentes quand nous faisons la queue au cinéma, ou des caissiers des supermarchés, des chauffeurs de taxi, des serveurs de restaurant, etc. Dès que nous apercevons quelqu’un, nous lui associons inconsciemment un comportement et une personnalité, même si nous ne disposons que d’informations très limitées.
Un exemple de traitement inconscient est celui effectué par les bébés pour apprendre le langage : comment le perçoivent-ils ?
Comment arrivent-ils à différencier des langues ?
C’est sur ces questions que s’est penché Franck Ramus.
« Mes travaux ont mis en évidence une sensibilité très précoce des nouveau-nés au rythme du langage. »
La façon dont sont accentués les mots génère de fait un rythme, propre à une langue.
Les différentes langues sont ainsi classées en trois grands types :
– accentuelles:langues slaves : allemand, anglais…
– syllabiques :langues latines: français…
– moraïques: unité plus petite que la syllabe, comme dans le japonais.
Des nouveau-nés de quelques jours sont capables de distinguer deux langues, si et seulement si leur rythme diffère. L’expérience menée par le chercheur consistait à mesurer les différences de succion d’une tétine alors que les nourrissons écoutaient des phrases de japonais (moraïque) ou de néerlandais (accentuelle) « retravaillées » : seules subsistaient, en fait, les variations de rythme de ces deux langues, les autres différences ayant été supprimées.
Lors du passage d’une langue à l’autre, les chercheurs ont mesuré une augmentation de la fréquence de succion, signe que les nouveau-nés avaient repéré un changement.
« Toute l’acquisition du langage est un processus inconscient, insiste Franck Ramus. La capacité à repérer des unités dans la parole, à prêter attention à ses propres représentations mentales de la parole, ce qu’on appelle la conscience phonologique, émergent seulement vers les quatre à cinq ans. »
Repérer des unités dans le langage, c’est bien. Mais comment apprend-on réellement ? L’inconscient joue-t-il un rôle important dans l’apprentissage ?
« L’apprentissage implicite, explique Pierre Perruchet du Laboratoire d’étude de l’apprentissage et du développement (LEAD) de Dijon 4, peut se définir comme une situation où l’on apprend sans en avoir l’intention, et où l’on est incapable d’expliquer clairement ce qu’on a appris. »
Le psychologue s’intéresse au processus qui permet de repérer des règles grammaticales et syntaxiques dans une langue, et d’en distinguer les mots.
En temps normal, aucune pause dans l’élocution ne permet de scinder le langage en unités.
« Si on regarde un tracé d’enregistrement, les seules pauses visibles se trouvent devant les consonnes plosives comme k, b ou p, poursuit le chercheur. C’est pourquoi pour notre expérience, nous créons de toutes pièces un langage artificiel. Et on le fait écouter à des volontaires en leur disant explicitement de ne pas chercher à comprendre, mais d’écouter l’extrait comme un morceau de musique. »
Le texte est lu sans pause, sans intonation, les syllabes ont toutes la même longueur : aucun élément de prosodie ne permet de repérer des unités.
« À la fin du test, les étudiants ont cependant perçu des mots, et sont capables de retrouver le lexique de ce langage artificiel. »
L’hypothèse de Pierre Perruchet pour expliquer cette capacité :
« Nous exploitons les régularités statistiques présentes dans le langage : les syllabes souvent associées ont toutes les chances d’appartenir à un même mot. »
Comment ?
« Nous ne le savons pas encore exactement, mais nous sommes convaincus que ce genre d’apprentissage implicite est relativement indépendant des capacités intellectuelles des sujets », conclut-il.